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Flashback dans le temps. Plongée dans un petit village sicilien Martorana, au travers de la vie de sa jeune héroïne Oliva Denaro. La vie au quotidien d'une année 1960, chronologiquement pas si lointaine, mais immuable dans ses traditions familiales. Trois enfants, dont la sœur aînée mariée "à l'aveugle", un petit frère Cosimino éternel chaperon d'Oliva dont la mère Amalia, passe la majorité de son temps à broder un trousseau pour cette seconde fille à caser rapidement avec un garçon qui "a du bien", Paternò, le fils du pâtissier, par exemple. Dans une atmosphère entre religion prégnante, communisme et rébellion pour la liberté (Liliana), où chacun épie chacun et médit sur chacun. Oliva, enfant insouciante dans ses jeux avec les garçons et qui peu à peu, avec l'arrivée du "cardinal", devient femme selon Amalia et se voit tout interdire par crainte d'une rumeur ou pire. Sa fille doit rester pure avant les épousailles pour lesquelles "Le choix", n'existe pas. Étrangement son père la soutient aux yeux de la famille et des villageois étriqués. La réaction récurrente d'Oliva? Courir à perdre haleine et se réciter cinq déclinaisons latines pour conjurer le sort! La langue y est fleurie, avec des expressions populaires et dialectales du cru. Ce sont toutes les conventions sociétales patriarcales et ancestrales qui subsistent en ce XX° siècle que Viola Ardone accentue dans ce roman. Lois qui poussées à l'extrême d'ailleurs, persistent encore dans certaines civilisations et s'obstineront sans vigilance, défiance et combat continus.

Livre d'une rare intensité parce que vrai, parce qu'audacieux, parce que libre, parce qu'infiniment humain. Frégni a donné l'habitude de nous conter sa propre vie, mais dans ce 5° roman, il nous en offre une vision plus accomplie. Une vie de hardiesses inimaginables dans cette société occidentale feutrée actuelle, une vie marginale, totalement assumée malgré le recul et la réussite littéraire. Son tour de force est d'avoir pénétré le monde de l’Édition, chez Gallimard!!!! et de rester l'exclu, l'invisible, l'observateur et le penseur solitaires. Qu'est-ce qui l'a sauvé dans une société qui le rejetait (école, aucune qualification, pauvreté, conformisme)? L'amitié complice et indéfectible (Ange-Marie,Pascal, Pierre l'étudiant...), sa sobriété (un café au lait!), ses lunettes et les livres (tous ses romans sont des hymnes à la lecture), les mots "il y a un monde dans chaque mot" (p. 251), le ciel pour toit et la nature pour cabane, ses cahiers rouges et ses stylos "qu'il a passé une vie à perdre", et surtout un amour incommensurable pour sa mère! Compassionnel envers ceux qui lui ressemblent, ascète à la manière d'un moine bouddhiste...athée, baroudeur souvent par "obligation",il nous entraîne avec force et modestie dans ses voyages tel un Lanzmann ou un Tesson, avec sa propre philosophie informelle mais toujours déterminée. Rien d'égoïste dans sa solitude, seulement une vision qui oppose "Tous les murs qui cachent la douleur" et le monde "des jardins...des collines pauvres". p.253,4 Des questions ? Le lecteur n'adhère-t-il pas à ses représentations par manque d'utopie et surtout de bravoure? Ou notre société avec son déterminisme socioéconomique, culturel, ses dogmes ( éducatifs, formateurs, cultuels parfois ) comme des vérités incontournables, admet-elle encore la réussite d'une existence dans l'autodidaxie ?

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