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Livre d'une rare intensité parce que vrai, parce qu'audacieux, parce que libre, parce qu'infiniment humain. Frégni a donné l'habitude de nous conter sa propre vie, mais dans ce 5° roman, il nous en offre une vision plus accomplie. Une vie de hardiesses inimaginables dans cette société occidentale feutrée actuelle, une vie marginale, totalement assumée malgré le recul et la réussite littéraire. Son tour de force est d'avoir pénétré le monde de l’Édition, chez Gallimard!!!! et de rester l'exclu, l'invisible, l'observateur et le penseur solitaires. Qu'est-ce qui l'a sauvé dans une société qui le rejetait (école, aucune qualification, pauvreté, conformisme)? L'amitié complice et indéfectible (Ange-Marie,Pascal, Pierre l'étudiant...), sa sobriété (un café au lait!), ses lunettes et les livres (tous ses romans sont des hymnes à la lecture), les mots "il y a un monde dans chaque mot" (p. 251), le ciel pour toit et la nature pour cabane, ses cahiers rouges et ses stylos "qu'il a passé une vie à perdre", et surtout un amour incommensurable pour sa mère! Compassionnel envers ceux qui lui ressemblent, ascète à la manière d'un moine bouddhiste...athée, baroudeur souvent par "obligation",il nous entraîne avec force et modestie dans ses voyages tel un Lanzmann ou un Tesson, avec sa propre philosophie informelle mais toujours déterminée. Rien d'égoïste dans sa solitude, seulement une vision qui oppose "Tous les murs qui cachent la douleur" et le monde "des jardins...des collines pauvres". p.253,4 Des questions ? Le lecteur n'adhère-t-il pas à ses représentations par manque d'utopie et surtout de bravoure? Ou notre société avec son déterminisme socioéconomique, culturel, ses dogmes ( éducatifs, formateurs, cultuels parfois ) comme des vérités incontournables, admet-elle encore la réussite d'une existence dans l'autodidaxie ?

Livre d’une rare concision sur autant de thèmes événementiel, professionnel, psychologique abordés. Alma Revel, juge d’instruction coordonnatrice du pôle antiterroriste, épouse d’un écrivain Ezra en quête d’inspiration et immergé dans le judaïsme orthodoxe, parents de trois enfants, devra gérer simultanément plusieurs situations sensibles dans un moment crucial à tous points de vue, politique, historique et personnel. Si la thématique de fond factuelle, relate les divers attentats islamistes en France depuis plusieurs années, K. Tuil réussit la prouesse d’analyser avec une grande acuité ses propres interrogations, son ressenti sceptique face aux inculpés (incises d’interrogatoires) mais aussi la douleur indéfinissable de familles touchées à jamais dans leur chair. Sans compter les menaces de mort régulières. Quinquagénaire en phase de bilan intime, elle rencontre l’avocat Emmanuel Forrest qui défend les causes quasi injustifiables de jeunes gens partis en Syrie pour faire le Djihad. Proches en amour et adversaires professionnellement, dilemme kafkaïen. Mais l’histoire s’amplifiera avec la mise en danger fortuite de Milena, sa fille et son compagnon Ali…. La tension est constante et ne doit hélas rien à la fiction. Des questions existentielles se multiplient : fragilité et courage, versatilité de l’humain. Vérité, mensonge, assurance, quand et pourquoi l’être humain bascule-t-il dans la violence extrême ? Difficile de reposer ce roman.

Suite inévitable pour Grégoire Delacourt du livre précédent "Mon père". Malgré une profession lucrative et enviée, l'écriture de romans moins ciblés, une vie familiale substantielle et une longue période d'analyse, l'enfance violentée réémerge obsessionnellement. Tout réaffleure : le Valium, le Mogadon, la dureté assumée du père, la froideur impartiale ou neutre de la mère, le pensionnat éducateur. La peau et le toucher sont toujours en éveil, même dans les rapports amoureux avec ses compagnes. Les odeurs d'éthylène, de cigarette mentholée, d'un appartement clos ou la vue de certains objets familiers sont autant de madeleines pour lui. Tout comme la perception de son propre corps : "Mon corps m'empoisonna pendant cinquante ans" p.68 . La vitesse, l'alcool, l'éloignement, l'isolement et surtout l'écriture pour mieux disséquer et fixer ce passé : baumes ou placebos à cette douleur abyssale? Les pages consacrées à la fin de vie de la mère et du père sont impitoyables. Le poids de leur déni est plus fort. Et pourtant l'amour y côtoie l'aversion . "Le pardon est une fiction", écrit-il p. 227. L'auteur semble oublier ou du moins estomper la culpabilité du prêtre, par qui ce déchirement s'est incrusté à jamais pour mieux accuser ses parents qui ne l'ont pas sauvé. A-t-il seulement été un père parfait lui-même? Se rachète-t-il dans ses jugements inflexibles en concluant : "Tu vois, mon livre parle de toi. Mon livre est toi. Il est l'amour d'une mère" p. 229 Écriture au cordeau, phrases courtes, sonnantes, rigidité du vocabulaire, récit bref et pourtant tellement expansif et bouleversant.

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