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L'écrivaine, à l'occasion d'un test chez le médecin , revoit à travers l'attente, les patients et le médecin, une visite qu'elle s'était imposée une trentaine d'années plus tôt, en janvier 1963. Ce court récit retrace par le menu à travers son journal entrecoupé de réflexions et de ressentis actuels et ses souvenirs gravés à jamais, le déroulé pesant et tortueux de - l'événement- . En effet, jeune étudiante en Lettres à Rouen, et au fil de ses rencontres, elle tombe enceinte. Elle ne sera plus animée que par son avortement, sollicitant camarades d'études, amies, pharmaciens, médecins jusqu'à la faiseuse d'anges, dans une société corsetée par les préjugés, la morale et la religion, qui attendra encore une dizaine d'années avant d'admettre la légalisation de l'IVG. Cette quête obstinée et courageuse éveillera chez d'innombrables lectrices le chemin de croix pour l'obtenir dans des conditions enfin prophylactiques , humaines et respectueuses du corps de la femme. A. Ernaux ne peut toutefois pas s'empêcher d'évoquer une famille conventionnelle, ses origines modestes et provinciales, le mépris des médecins imbus de leur savoir, n'hésitant pas à humilier la "fille d'ouvriers", alors qu'elle est étudiante et autres sensations d'être méprisée puisqu'elle n'appartient pas à leur monde de "bourges". Les descriptions sont crues, les détails lestes parce que vrais , sa persévérance n'a d'égale que sa bravoure car sa vie est en jeu. Et la cause reste encore fragile aujourd'hui bien qu'entérinée. Mais pourquoi, une quarantaine d'années plus tard, alors que l'écrivaine a une vie bien établie dans un monde qu'elle ne côtoyait pas de part ses origines, le professorat puis la littérature, une filiation dans le milieu cinématographique et scientifique, ne peut-elle pas relever la tête, écarter définitivement ce dédain pour ceux qui l'on "déconsidérée" au lieu de se poser encore en victime? En persistant ainsi dans la rancune, elle renvoie vers cet autre monde (qu'elle a intégré par ailleurs!) le même dédain qu'elle a profondément ressenti.

Après Noir, voici Blanc . Expression d'une pensée binaire? Certainement pas de la part de Tesson. Récit, journal, essai ou les trois à la fois? - Le blanc- de la neige essentiellement, dans cette aventure alpine depuis le Mercantour jusqu'aux Alpes juliennes de Slovénie, l'hiver, sur 85 jours, avec en exergue de chaque chapitre, les détails du point de départ, du bivouac aérien ou dans un refuge, du dénivelé, de la t°. Et surtout les sentiments et les pensées de l'auteur parfois faillible devant la nature bien que toujours en extase et souvent inexpérimenté aux côtés de du Lac, sportif aguerri, puis d'un 3° larron, l'ingénieur Removille. Chacun différent par sa capacité à escalader, sa méthode et surtout sa motivation. La Géographie pour Tesson est immanquablement doublée d'Histoire. Histoire des temps donc chronologie : "Le monde est plus vieux que les récits des hommes"p.53 Histoire des religions avec leurs préceptes et leurs dogmes "Le Blanc, c'est Shiva, l'envers de Vishnou!" p.55, ou "Vous ne savez ni le jour ni l'heure" dit le Christ... p.56. Fresque littéraire où chaque pas, chaque rocher inspire à l'esprit de Tesson une référence à un écrivain ou un philosophe. Histoire souvent mâtinée d'humour comme expression de l'insatisfaction humaine perpétuelle : "L'alpiniste est un homme en fuite. Il brûle pour les sommets. Aussitôt parvenu il se jette dans la descente"p.66. Et enfin prétexte à regarder certes le paysage qu'il domine, mais surtout nos modes de vie orientés par la politique et l'économie consumériste qui se veut en même temps égalitaire et standardisante. Les 3 pages de sa nouvelle :Égalité- Égalité- Égalité (p. 198,9,200) en sont une illustration cocasse. En 2053 en effet, la Ministre de l’Égalité territoriale "arasera" toute altitude comme on aura voulu effacer toute inégalité sociale! De simple raid alpin, le livre nous ouvre l'univers mental de l'auteur. De matière, le blanc est devenu sujet de réflexion. "Rapportée au monde abstrait elle (cette substance) s'appelle l'universel. Sa traversée s'appelle un rêve."p.233 Quant à l'écriture de Tesson, elle n'a peut-être jamais été aussi ciselée, précise et imagée. Les mots choisis : vaporiser, plâtrer, moléculiser, vitalisme, intussusception, séclusion...son le miroir d'une culture remarquable et d'un travail de plume exceptionnel.

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