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Qu'ajouter pour évoquer le contenu de ce livre qui confesse le viol d'un jeune beau-père sur la fillette de sa compagne? Pendant 7 ans, jusqu'à l'adolescence il a absorbé, mystifié, terrorisé, abîmé la vie de cet enfant avec sa toute puissance d'adulte démoniaque, perverti et affabulateur. Neige Sinno tente après plus de vingt ans de regarder le passé et de le mettre en mots. "J'ai du mal à être sûre que j'existe". Le parti pris est souvent littéraire avec des allusions-témoignages d'autres auteurs C. Angot, Despentes, C. Kouchner ou la vision cynique d'un Nabokov. Peut-être aussi parce que les écrits restent, dit-on. Le récit se divise en 36 sous-chapitres qui se voudraient ordonner les idées pour une parfaite lucidité sur les abus, la responsabilité, l'analyse après le procès, la condamnation, les effets difficilement délébiles sur une vie de jeune femme et de mère et cependant il est redite. Cette redondance est due imperturbablement à des souvenirs-images qui explosent à l'esprit comme si la liste des meurtrissures abjectes n'était jamais exhaustive. Bien plutôt triste sire que triste tigre dont l'omnipotence est essentiellement lâcheté. Mais ce qui est terrifiant au-delà du contenu de son propre récit qui n'est pas fictionnel, c'est qu'il est hélas éminemment fréquent puisqu'une Commission gouvernementale officielle évalue à 438 enfants touchés journellement par les violences sexuelles en France. Si le regard de la société et de la justice évolue, l'homme (ou la femme, rarement mais parfois), demeure avec sa soif de domination amorale jusqu'à la cruauté, de libido et de perversions diverses. Est-il incongru toutefois de se demander pourquoi des jeunes gens, en l’occurrence des lycéens pour lesquels une insouciance toute relative devrait les inspirer, ont choisi sur une liste d'autres romans certainement plus légers, celui-ci et sa thématique accablante?

Livre singulier par sa mise en page, l'écriture et certains personnages . La situation familiale est parfaitement exposée dans le résumé qui précède. Trois parties dont la première est une suite systématique d'interventions de la mère et du père d'Isor, chacun d'une sensibilité et d'une réactivité dissemblables devant une enfant différente, mutique, excessive, qui les éloigne des amis et de la famille. Bien qu'englués ensemble dans le désarroi, la souffrance et la quête d'un miracle scientifique, Maude restera jusqu'à la conclusion la mère aimante, patiente, maternante. Camillio, le père fluctuera au-delà de son amour, entre tentatives multiples pour une évolution d'Isor, lâcher prise et colère. La seconde partie, d'une écriture fouillée et d'une profondeur détonnante, illustre la rencontre improbable mais surtout constructive d'un mystérieux voisin septuagénaire, Lucien et de l'adolescente. Chacun y trouvera sa raison d'exister et d'espérer peut-être au grand dam de Camillio, surtout . Pourquoi un étranger réussit-il, là où la famille ne progresse pas? Quant à la troisième partie, elle est révélation à la vie, d'Isor. Hymne à la découverte, aux rencontres, à la poésie et à la joie. La situation sensible, déstabilisante, dramatique pour la famille, presque coupable au regard de la société n'est hélas pas unique et en ce sens Alice Renard implique le lecteur dans la souffrance ou la joie des protagonistes. C'est peut-être l'écart de ton entre les trois parties qui désoriente. A-t-elle voulu rendre hommage à un ancien (G-P., autre parent, connaissance?), honorer la génération précédente avec ses valeurs? Ou insister sur ce que notre société n'accepte pas : la différence?

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